Le diabolique est partout, de tout temps et dans toutes les cultures, sous des noms et sous les formes les plus diverses. Tout le monde est plus ou moins superstitieux. Comment vivre, même dans le plus matérialiste des mondes, sans croire peu ou prou à la chance des uns, au « mauvais œil » des autres ? Dans les religions chrétiennes, le Diable a droit à une majuscule. Lucifer — porte-lumière — est un ange déchu mais doté d'un terrible pouvoir, maître de cet Enfer (lui aussi avec majuscule), où les âmes pécheresses brûlent pour l'éternité dans un feu inextinguible. Notre imaginaire en est encore tout imprégné, et pourtant personne ne croît plus à l'Enfer, devenu métaphore, même les plus chrétiens d'entre nous. Dans quelques sectes, peut-être, mais qu'en savons-nous vraiment ? Cependant le diabolique, voire le satanique, résiste très bien, il nous persécute ou fait nos délices, il alimente des chroniques, des films, des livres, des jeux de rôles, qui parfois tournent mal.
L'Occident de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe vit s'estomper peu à peu, non sans maints soubresauts, le pouvoir séculier des Églises. Au fur et à mesure que la peur de l'Enfer perdait de son efficace, le diabolique se muait en fantastique : les œuvres du romandier irlandais Maturin ou de l'écrivain allemand Hoffmann sont les témoins de ces glissements de sens. Dans La Comédie humaine, et plus précisément dans Melmoth réconcilié, Balzac a donné le coup de grâce au Diable. En faisant entrer le pacte en Bourse, le moins qu'on puisse dire est qu'il le démonétise... Chemin faisant, on est passé d'un usage féodal de la parole — la promesse est irréversible —, à un usage bourgeois et commercial, où le contrat écrit, même protégé par la loi et les signatures des contractants, est le résultat d'une négociation toujours susceptible d'être reprise, détournée ou désavouée. Ce passage d'une société à une autre, d'un régime de parole à l'autre, Balzac en a fait la matière — avec ou sans diable — de la plupart de ses fictions romanesques.