Hisashi MIZUNO, « Delfica » — un oracle modulé du panthéisme moderne chez Gérard de Nerval, RLC LXXXVI, n° 4, octobre-décembre 2009.
« Delfica » est une des chimères poétiques de Gérard de Nerval, inspirée de Goethe et de Virgile, et reprise sous des formes variées de 1841 à 1854. Se fondant sur les thématiques de « l'éternel féminin » et du retour cyclique, le poète tisse les réminiscences des âges disparus, associées à l'énigmatique présence d'une sibylle delphique. En creusant les associations d'idées nervaliennes, présentes à chaque étape de la formulation de ces « vers dorés », on arrive à entendre, à travers « cette chanson d'amour qui toujours recommence », un oracle du panthéisme moderne, invocation sibylline de la renaissance de la nature. Au lecteur attentif, « Delfica » dévoile discrètement quelques aspects de son visage énigmatique.
Anne-Gaëlle WEBER, Genres littéraires et révolutions scientifiques au XIXe siècle : l'exemple des astronomies populaires, RLC LXXXVI, n° 4, octobre-décembre 2009.
La multiplication, dès le début du XIXe siècle, des « Astronomies populaires » publiées constitue ce type d'ouvrages en un véritable genre littéraire et descriptif. Dans le même temps, la nature mathématique de l'astronomie est admise par tous. Notre propos est de montrer comment les astronomes vulgarisateurs savants que sont John Herschel, Alexander von Humboldt, François Arago et Camille Flammarion ont tenté de dépasser l'aporie de l'application d'un genre pré-établi à un objet qui lui était par nature étranger. Dans leurs « Astronomies populaires » se définissent l'une par rapport à l'autre la science et la littérature. Là s'articulent également, de manière parfois étonnante et l'une par rapport à l'autre, l'histoire des sciences et l'histoire de la littérature.
Philippe CHARDIN, Effi Briest ou l'adultère sans ses « légions lyriques », RLC LXXXVI, n° 4, octobre-décembre 2009.
À partir d'un cas-limite d'écart entre l'insignifiance d'un rapport adultère — pour la représentation duquel Madame Bovary de Flaubert servira de point de comparaison — et la gravité des conséquences qui en découlent, le roman de Fontane, Effi Briest, semble rendre odieuse une triple inhumanité psycho-sociale : celle de « l'automatisme » ; celle de l'anachronisme archaïque ; celle de l'innocence martyrisée et sacrifiée. Mais d'autres éléments, importants dans l'interprétation qu'un romancier propose implicitement de ses fictions, sont toutefois susceptibles d'émousser cette prise de conscience et cette indignation : la tonalité du dénouement, les palinodies surprenantes d'une héroïne durant un temps révoltée et enfin l'impression d'obéissance à une triple fatalité — païenne, chrétienne et naturaliste — que donne constamment la marche du récit dans le roman de Fontane.
C. VETTORATO, Blackness poétique et « altérité intime » : les enjeux de l'oralité dans les poésies africaines américaines, RLC LXXXVI, n° 4, octobre-décembre 2009.
Aux États-Unis, mais aussi en Amérique du Sud et dans l'espace caribéen, de nombreux poètes modernes ont mis en avant dans leurs textes leur appartenance à la diaspora africaine américaine, en d'autres termes, leur blackness. À partir d'une réflexion sur ce terme et ses usages, nous en proposerons une application au travail poétique, à travers le concept de blackness poétique. Dans les traditions poétiques que nous mettrons en perspective, l'évocation de la blackness s'accompagne d'une forte prégnance de traits oraux, empruntés au parler populaire, à la religion ou encore à la musique. Ces modèles oraux sont le lieu de l'« altérité intime », dans laquelle le poète s'identifie à un peuple dont il invente la voix.
Jean-Paul ENGÉLIBERT, L'éloge posthumain des humanités. Oryx and Crake de Margaret Atwood et les fictions de l'homme fabriqué depuis R.U.R., RLC LXXXVI, n° 4, octobre-décembre 2009.
Le roman de l'écrivaine canadienne Margaret Atwood Oryx & Crake (2003) poursuit la réflexion sur le « posthumain » entreprise il y a presque un siècle par Karel Capek dans R.U.R. Les Crakers, espèce posthumaine artificielle, vivent dans un bonheur prélapsaire après la quasi-extinction de l'humanité, dans l'ignorance de la paternité et des fléaux que, selon leur concepteur, elle engendre. En cela, leur créateur a accompli une tendance de fond du XXe siècle : le harcèlement de la fonction paternelle, bien décrit par la psychanalyse. Mais l'ironie du roman est de montrer comment ces créatures échappent à son emprise : en inventant mythes et rituels qui replaceront au principe de leur vie un Autre, repère symbolique dont l'autorité leur permet de s'émanciper d'une condition pensée comme immuable par leur inventeur. Par quoi Oryx & Crake oppose les humanités, dont la fonction est la connaissance et l'émancipation, aux tech-niques et à leur pouvoir, heureusement faillible, d'assujettissement.