Dans l'Orestie – seule trilogie tragique qui nous soit parvenue –, jouée à Athènes en 458 av. J.-C. au sortir d’une tourmente politique qui a instauré la démocratie, Eschyle s’empare du mythe des Atrides pour, le temps du jeu, sortir les spectateurs de l’actualité, en mêlant dans une succession de dissonances violentes ce que les discours publics s’efforçaient de séparer : droit, meurtres, intimité des désirs, filiation, transe, réflexion théorique.
La première pièce, Agamemnon, où le roi victorieux de Troie rentre chez lui pour y être assassiné par son épouse Clytemnestre, porte la crise à son comble : aucune norme, aucune valeur ne résiste face à cette violence initiale, qui ne peut rester impayée. Les personnages argumentent, sans pouvoir s’accorder, ni maîtriser leurs actes ; le choeur des nobles d’Argos essaie de rationaliser, mais sombre dans l’aphasie et l’impuissance. Cassandre, la captive ramenée par le roi et tuée avec lui, seule figure qui ne poursuive aucun but, ne peut que témoigner de la violence divine. Les règles sociales et religieuses ne remplissent plus leur fonction et ne servent qu’à rendre spectaculaires des vies abîmées. La reconstruction, dans les pièces suivantes, sera lente.