L'avènement des Lumières n'est pas le crépuscule de l'homme seul : jamais le goût de la retraite, religieuse ou profane, ne fut aussi répandu qu'en une époque, le XVIIIe siècle, marquée, dit-on par le triomphe de la sociabilité militante. Champions infatigables d'un activisme moral et politique, contempteurs obstinés (hormis Rousseau) de la vie contemplative, les philosophes eurent beau dire et beau faire : les figures et les archétypes de l'existence désengagée — l'ascète chrétien, le sage en son manoir, le ministre recru d'affaires en sa villégiature — ne cessèrent de hanter l'imaginaire du temps. C'étaient là des modèles prestigieux. Des modèles de vie. De toute une vie pour quelques-uns, qui, peu sensibles aux fumées de la gloire, renonçaient au monde et à ses vaines contingences, pour jamais. Non qu'ils eussent dessein de se soustraire aux devoirs de l'humanité : éternel ou provisoire, l'exil dont ils avaient fait choix ne les rendait pas étrangers à leurs semblables, tels des marginaux, des révoltés ou des exclus. Gardiens vigilants des vertus, ils s'offraient à l'édification de leurs contemporains, en les instruisant de leur exemple, et tandis que le temps s'acharnait à détruire les certitudes les mieux établies, ils affirmaient, contre vents et marées, la pérennité des traditions et des valeurs ancestrales.