Le recul de la littérature en Allemagne au XIXe siècle au profit de la philosophie donne-t-il raison à Hegel, prophète de « la fin de l'ère artistique » ? N'y aurait-il rien entre la mort de Gœthe (1832) et le renouveau des années 1880 ? Heinrich Heine s'inscrit évidemment en faux contre ce jugement péremptoire. Mais une autre œuvre domine ce temps, celle du Souabe Eduard Mörike (1804-1875). Conteur et nouvelliste, ce dernier a été cependant surtout un très grand poète lyrique.
Nourrie des Grecs et des Latins, inimaginable sans le siècle romantique et classique, sa langue est d'une rigueur formelle exceptionnelle. Elle dit une expérience de la vie tendue entre le proche et le lointain, le jeu et le sérieux, le matériel et le spirituel.
En des temps prosaïques partagés entre l'attente révolutionnaire et le repli sur une médiocrité maquillée en sagesse, Mörike a tenté de réenchanter le monde par le Verbe. Loin de l'histoire idolâtrée, il a fait de l'instant l'outil d'une saisie délicate de la réalité, mariant le concret à l'onirique.
Avec lui, la première place échoit aux sensations propres aux états transitoires. Par l'image, c'est à ces instants que s'accomplit dans l'écriture même qui la restitue l'alchimie délicate de la création poétique.