Depuis la révolution scientifique du XVIIe siècle, la science est tourmentée par le sens à donner à sa propre entreprise. Plusieurs tentatives pour fonder l'intelligibilité de la nature sur les structures prétendument immuables de la raison ont échoué. Mais l'échec philosophique est à la mesure du succès aveuglant des connaissances scientifiques, qui n'ont plus que faire du scrupule de principe. Kant n’est-il pas un des avocats les plus éminents de ce scrupule tombé en désuétude? Face au divorce consommé entre physique et métaphysique, il restait à se demander, avec Kant, ce que la raison a à gagner si chacune se force malgré tout à parler le langage de l’autre. Effort douloureux mais riche d’enseignement: si la physique est poussée dans cet horizon de la métaphysique qui lui est étranger, elle retrouve le moyen de s’aventurer dans une réflexion sur son propre point de départ. Réflexion qui hante encore la science aujourd’hui, même si c’est à son insu. Dans ce premier geste il doit y avoir quelque chose de définitif: seule la philosophie kantienne de la nature nous met vraiment aux prises avec lui.
Pierre Kerszberg est professeur de philosophie à l'université d'État de Pennsylvannie.