Quiconque s'est exposé à la pensée néoplatonicienne, été confronté à la difficulté d’expliquer en quoi consiste la nature « au-delà de l’être ou de l’essence » – selon la formule platonicienne –, du Premier principe des Néoplatoniciens. Que peut bien signifier être au-delà de l’être ? Est-ce que n’est pas dit « être » tout ce qui existe, et si l’Un est au-delà de l’être, que peut-il justement être, si ce n’est le rien, le néant ? Et s’il n’est pas pur néant, c’est donc que, d’une certaine manière, il est. Dès lors, pourquoi ne pas l’admettre plutôt que d’emprunter ce curieux et apparemment inutile détour par l’Un, par l’« hénologie » ? Ces interrogations sont centrales, puisque d’elles dépend l’intelligence de ce qui constitue l’essentiel de notre tradition spéculative, les courants ontologique et hénologique, respectivement rattachés aux noms d’Aristote et de Platon/Plotin, formant l’armature même de notre héritage conceptuel.
Et l’oubli même de l’être décrié par Heidegger, dans tout cela ? Peut-il avoir le même sens dans une philosophie de l’être et dans une philosophie qui, expressément, méthodiquement, choisit de se situer dans une perspective autre que celle de l’être, être que par là justement, elle n’oublie pas, mais qu’intentionnellement elle délaisse et maintient à distance ?
Jean-Marc Narbonne est professeur de Philosophie ancienne à l’Université Laval (Québec) et s’intéresse à la tradition platonicienne et à son influence dans l’histoire occidentale et dans la pensée contemporaine. Il est l’auteur de Plotin. Les deux matières (1993), La Métaphysique de Plotin (1994) et Plotin. Traité 25 (1998).