« Si quelqu'un veut savoir pourquoi nous sommes morts,
Dites-leur : parce que nos pères ont menti. »
Cette phrase écrite en 1918 par Rudyard Kipling résume son écrasante culpabilité. Son fils unique John, 18 ans, a été porté disparu en septembre 1915 devant Loos, en Artois. Le prix Nobel de littérature, fervent patriote, l’avait poussé à s’engager malgré sa myopie. Rudyard Kipling le sait aussi : par ses écrits, il a contribué à ce que des centaines de milliers de jeunes gens connaissent les horreurs de la Grande Guerre. Comme de nombreux écrivains britanniques, parmi lesquels Sir Arthur Conan Doyle, H. G. Wells ou Thomas Hardy, Rudyard Kipling a rejoint le War Propaganda Bureau, chargé de manipuler l’opinion et de pousser l’Amérique à entrer dans le conflit.
En 1915, il écrit La France en guerre, portrait de ce pays qu’il connaît et admire, mobilisé contre les « Boches » – texte qui, depuis, n’avait pas été republié. « France, bien-aimée de toute âme qui aime son prochain ! » y écrit-il. À près de 50 ans, Kipling patauge dans la boue, partage le quotidien des soldats français, assiste au déchaînement de l’artillerie. « La fumée s’évanouit dans ce morceau de tranchées, comme l’écume d’une vague meurt dans l’angle des murs d’un port ». L’auteur de Kim et du Livre de lajungle met à nouveau tout son génie au service de cet Empire victorien qu’il a chanté dans ses poèmes, dans ses contes, dans ses romans. Mais cette fois, il ne s’agit plus de la jungle et des confins coloniaux de la Grande-Bretagne. La partie se joue à ses portes, sur les terres brumeuses du nord de la France, dans les Flandres, face aux lignes allemandes.
Rudyard Kipling (30 décembre 1865, Bombay-18 janvier 1936, Londres), premier lauréat anglophone du prix Nobel de littérature (1907).
Laurent Bury est professeur de littérature anglaise à l’université Lyon-II. Il a traduit aux Belles Lettres le livre d’A. C. Danto, AndyWarhol (2011), et Diamants de sang (2013) de Greg Campbell.