RÉSUMÉS
Annie BELIS. — Une inscription dépourvue de sens sur une amphore de Berlin
Sur une amphore bien connue des Musées de Berlin sont figurés deux Silènes. L'un danse la pyrrhique, l'autre joue de l'aulos. Les deux panneaux portent diverses inscriptions : noms, signature du peintre, et un long texte de 13 syllabes, diversement interprété. Certains y ont vu une sorte d'onomatopée musicale dénuée de sens, d'autres ont recherché à en identifier quelques mots. L'objet de cet article est de « déchiffrer » la phrase en totalité, d'en déterminer le rôle dans la scène représentée. Plus largement, c'est la question de ce qui est donné à voir et à lire sur la céramique grecque qui est ici abordée.
Marie-Thérèse CAM et Yvonne POULLE-DRIEUX. — Trilli, le bas-ventre du cheval (Végèce, mulom. 3, 4)
De nombreux développements dans le traité de médecine vétérinaire équine de Végèce, sans source connue et relatifs à la zootechnie et à l'hippologie, font connaître un lexique rare voire inédit et difficile d'interprétation. Tel est le cas, dans la première partie du livre 3 consacrée à l'anatomie, au chapitre 4 sur les veines, de la région du corps signalée par de trillis où se trouvent deux veines. Il n'y a rien à tirer de la notice de la Souda s.u. τρίλλη, qui renvoie, sans doute par confusion, à Simon d'Athènes. L'organisation du chapitre a capite ad calcem invite à considérer qu'il s'agit de l'abdomen du cheval. Le terme latin, sans étymologie, est vraisemblablement une forme expressive apte à imiter la vibration du muscle peaucier de l'abdomen, particulièrement mobile pour chasser les insectes qui importunent l'animal. L'onomatopée latine s'est perpétuée dans le lexique musical (it. trillo, fr. trille, angl. trill), et il convient de restaurer une forme au masculin, trilli, plutôt qu'au féminin, trillae, d'après le témoin grec.
Nicole GUILLEUX. — Strepsiade, Phidon, Phidippide : choix onomastiques et stratégie dramaturgique dans les Nuées
On tente de montrer la pertinence des choix onomastiques d'Aristophane concernant le personnage principal des Nuées et le lien que ces noms entretiennent avec le projet dramatique de la pièce. Donner au premier rôle le patronyme de Pheídōn le définit comme un avare, dont le but est effectivement de ne pas rembourser ses créanciers, élément qui constitue le point de départ de l'intrigue. Par ailleurs, le nom Strepsiádēs induit que non seulement le personnage principal, mais aussi la pièce dans son ensemble, sont placés sous le signe du retournement et de l'inversion, conformément aux différents sens de gr. stréphō. Enfin, au vers 134, Aristophane fait énoncer par Strepsiade son patronyme, son idionyme et son démotique : la profération de ces trois noms, qui prend une forme stylistiquement marquée comme poétique, tranche sur l'usage littéraire et épigraphique comtemporain. C'est le moyen pour l'auteur dramatique de faire entendre sur la scène, concurremment à la voix du personnage de fiction, celle des citoyens, et de condamner sans appel la nouvelle éducation et ses divers tenants.
Nicole LANERES . — Irènes et Tritirènes, réflexions sur la vocabulaire laconien de l'éphébie
Connu comme caractéristique du vocabulaire de l'initiation des jeunes Spartiates, le terme irène — εἰρήν— figure dans les inscriptions sous des formes diverses. La présence de variantes en ἰρ- assez anciennes pour ne pas être imputables au iotacisme, et l'existence à Messène d'une forme en ἐρρ-, montrent qu'il est issu de ἔρσην, « jeune mâle », dont il est devenu un doublet spécialisé dans la désignation des membres d'une classe d'âge.
Claire LE FEUVRE. — La forme homérique καµµονίη, le parfait κέκασµαι et le groupe de skr. śáṃsati "louer"
La forme homérique καµµονίη, unanimement interprétée depuis l'Antiquité comme une forme éolienne *κατ-µονίᾱ, variante metri causa de καταµονή sur καταµένω « rester, durer », et à laquelle on attribue le sens de « endurance », d'où « victoire » dans ses deux occurrences homériques, n'a rien à voir avec µένω. C'est un dérivé en -ία d'un ancien *kas-mon-, éol. *καµµον- * k̑N̥s-mon- « qui loue, qui fait l'éloge de », correspondant animé du neutre véd. śásman- « louange » *k̑N̥s-men-, du groupe de śáṃsati « louer » (*k̑eNs-). Le syntagme δώῃ καµµονίην est un hémistiche P1, en distribution complémentaire avec l'hémistiche P2 δώῃ δέ µοι εὖχος + théonyme sujet, et καµµονίη « louange » est l'un des termes du paradigme formulaire de κλέος « gloire » On a une autre isoglosse gréco-aryenne dans le nom d'action véd. śastí-, av. sasti- « louange » *k̑N̥s-ti-, qui correspond au gr. καστι- dans les anthroponymes Καστιάνειρα, Κασσάνδρα. L'identification de *k̑N̥s-mon- dans καµµονίη vient confirmer que ces formes en καστι-, ainsi que κέκασµαι et καίνυµαι, appartiennent bien à la racine *k̑eNs- ainsi que l'a proposé Heubeck, et non à une racine *k̑ad- comme l'admettent encore certains savants sur la foi de l'hapax pindarique κεκαδµένος, qui est sans doute un éolisme secondaire et non une forme ancienne.
Léopold MIGEOTTE. — Les ressources financières des cités et des sanctuaires grecs : questions de terminologie et de classement
Malgré leur grande diversité, les ressources financières des cités et des sanctuaires grecs étaient structurées de la même manière et exprimées avec la même terminologie dans l'ensemble du monde grec. Pour les présenter de façon ordonnée, nous pouvons partir de la distinction entre prosodoi (revenus ou recettes) et poroi ou poroi chrématôn (sources de ces revenus ou moyens de les créer) et la compléter par la typologie des principaux poroi présentée dans deux œuvres de l'École d'Aris¬tote, l'Écono¬mique et la Rhétorique à Alexandre. Bien que som¬maire, cette typologie permet de distinguer quatre grandes catégories : (1) les ressources patrimoniales, c'est-à-dire les propriétés immobilières et mobilières, qui consti¬tuaient une richesse permanente et assuraient des revenus relativement stables à long terme ; (2) les réserves monétaires, qui pouvaient deve¬nir productives quand elles servaient à prêter de l'argent à des individus ou à des cités ; (3) les télè, c'est-à-dire à la fois les taxes indirectes frappant toute sorte d'activités (commerce dans les ports et les marchés, pâture dans les prés communaux, comparution devant les tribunaux, consultation des oracles, affran¬chis¬sement des esclaves, etc.) et les taxes directes sur les propriétés privées ou, plus souvent, sur leurs produits ; (4) toute sorte de contributions, régulières ou exceptionnelles, internes ou externes, obligatoires ou bénévoles, comme les liturgies, les impôts d'urgence (eisphorai), les emprunts, les souscrip¬tions, les dons des évergètes, etc. Cet ensemble original permettait aux sanctuaires et aux cités de fonctionner avec souplesse.
Christian NICOLAS. — De l'étymologie pour l'œil à l'étymologie pour l'oreille : l'exemple de la prosthèse vocalique dans les Étymologies d'Isidore de Séville
Si la plupart des étymologies d'Isidore sont classiques, certaines sont novatrices et ne s'interprètent pleinement que dans leur rapport à la prononciation contemporaine. On peut dire que les premières sont des étymologies à lire mentalement (donc pour l'œil), les secondes à lire à haute voix et à écouter (donc pour l'oreille). Parmi les indices phoniques présents dans le texte, on s'intéresse ici aux traces de la prothèse vocalique. Presque toujours la prothèse vocalique est cryptée dans la graphie : quoique non écrite, elle est supposable pour la cohérence du raisonnement étymologique. Isidore nous donne à comprendre que certains mots ayant une initiale en s suivi de consonne peuvent être (au moins en théorie) interprétés comme des préfixés en ex- suivi de consonne. Mais il y a une autre façon de comprendre la relation entre les deux termes mis en rapport étymologique : on peut incorporer à l'étymon le matériel métalinguistique que constitue la préposition ab ou ex, selon une pratique qu'on rencontre plus d'une fois chez l'encyclopédiste sévillan. Ainsi pour le nom de la binette : Scudicia (...) nomen tamen ex codice retinet (20, 14, 7), dont l'étymologie se comprend bien mieux si l'on glose que l'étymon est non pas codex, mais ex codice et que l'on retranscrit *escudicia *es codice. Seule la prononciation restituée permet de donner toute leur connivence phonétique aux deux termes de l'équation lexicologique proposée.
Sylvie PITTIA. — Les méfaits de la paix (Denys d'Halicarnasse, Antiquités romaines, 12, 6, 2)
Denys (A.R., 12, 6, 2) transcrit une sententia sénatoriale vantant les avantages de la guerre extérieure et dénonçant les méfaits de la paix. La nature fragmentaire du passage a suscité des interprétations contradictoires de sa contextualisation historique. Mais le fragment reflète surtout un topos de l'histoire des idées : les vertus du metus hostilis. L'article s'attache à mesurer la part d'originalité dionysienne, par rapport à Tite-Live notamment. Denys reflète une guerre juste des temps archaïques, dont le butin n'était pas pourvoyeur de richesses corruptrices et qui préservait la cohésion du corps civique.
Eleonora SANTIN et Athanasios TZIAFALIAS. — Un pugile ai piedi dell'Olimpo : un nuovo epigramma da Azoros (Tessaglia)
Le souvenir des champions du stade vient se fixer éternellement dans les vers gravés sur leur monument funéraire : c'est le dernier tribut à la gloire d'individus réputés comme des héros de la patrie au même titre que les morts au combat. Une nouvelle contribution à l'histoire de cette catégorie se dégage des lettres peu nombreuses encore visibles sur une stèle retrouvée dans le site de l'ancienne Azoros, cité thessalienne au pied de l'Olympe. Il s'agit d'un seul distique élégiaque pour un jeune boxeur mort dans des circonstances inconnues après avoir honoré sa patrie par une victoire dans un contexte agonistique non mentionné.
Joëlle SOLER. — Lucius, parent de Plutarque, ou : comment lire les Métamorphoses d'Apulée
Cet article se propose de réfléchir à la valeur de la référence à Plutarque, comme parent supposé de Lucius, au début des Métamorphoses d'Apulée. Le détail généalogique, s'il souligne, avec beaucoup d'ironie, la prétention d'un jeune homme « distingué » qui se prend pour un grand intellectuel, n'en annonce pas moins aussi un programme littéraire et moral, que confirment d'autres allusions à Plutarque au début du roman. Plusieurs éléments renvoient en effet au De audiendis poetis, qui semble inspirer Apulée dans sa façon d'orienter et de guider la lecture de sa fiction.
Gianluca VENTRELLA. — Pour l'attribution à Saturninus Secundus Salustius de l'hypothesis métrique de l'Œdipe à Colone
En raison de la qualité et du caractère de la synthèse, l'argument métrique de l'Œdipe à Colone sophocléen peut être attribuée à la plume du grammairien Saloustios, auteur au IVe siècle après J.-C. d'une édition érudite, pourvue d'arguments et de scholies, du dramaturge athénien. Les choix lexicaux et la facture métrico-stylistique du texte ne constituent pas un obstacle à l'hypothèse de la paternité saloustienne. En outre, les positions philosophiques et religieuses prises par l'érudite sur plusieurs sujets (concernant, par ex., la question des oracles, des sacrifices en l'honneur des dieux et de la conception du destin) semblent fournir de nouveaux éléments à l'appui de l'identification du grammairien avec le philosophe homonyme, proche collaborateur et ami de l'empereur Julien.