Si une orientation commune réunit ces essais critiques, c'est bien que -l'interprétation du texte veut s'y maintenir « dans les limites que fixent l'ici et le maintenant de l'écrit » : ses circonstances, au sens le plus large. Éditeur des œuvres complètes d'écrivains majeurs du XXe siècle comme Pierre Reverdy et André Breton, Étienne- Alain Hubert pense que le choix d'un vocable, le pouvoir d'un concept, une inflexion particulière de la voix n'ont leurs -pleines chances d'être saisis que replacés dans un contexte précis, parfois étroit. Beaucoup de dates défilent ici.
Les poèmes et les proses de la première moitié du XXe siècle sont nés souvent dans des paysages mouvementés. Compagnon de Braque et de Picasso comme d'Apollinaire et de Max Jacob, Pierre Reverdy, dont sont étudiés longuement l'apport au cubisme et la conception fondatrice de l'image poétique, parlait de l'« obscure mêlée » dans laquelle avaient surgi les grandes créations de son temps. Décryptés, ses contes poétiques révèlent des chapitres ignorés par les histoires de la littérature.
Les lectures peuvent compter parmi les « circonstances » fondatrices d'une vie d'écrivain : pour qui sait les capter, les poèmes d'Apollinaire bruissent toujours des échos que sa précoce libido sciendi l'a conduit à emmagasiner dans les rayons les moins fréquentés des bibliothèques. Parfois, c'est le vécu qui, une fois restitué, apporte la clé de poèmes qui risquaient de demeurer voués aux commentaires généralisants : voir Capitale de la douleur d'Eluard ou Corps et biens de Desnos. De la même façon, l'intention de l'écriture automatique se laisse cerner au plus près à partir d'une page d'un carnet inédit d'André Breton. À propos des œuvres qu'il aimait, ce dernier avait à cœur de préciser leur situation. Si le titre n'était pas définitivement associé à un nom illustre, ce recueil d'essais aurait pu s'appeler Situations.