Héritier du romantisme anglais, Browning est aussi un précurseur exceptionnel de la poésie moderne, offrant un relais inattendu entre les poètes « métaphysiques » du XVIIe siècle d'une part, et Eliot ou Pound de l'autre qui reprendront la forme et les techniques du monologue dramatique, instrument poétique privilégié dont s'était servi leur devancier avec autant de maîtrise que de subtilité pour donner la parole à ses dramatis personae.
Prophète, voyant, analyste délié des motifs et des signes humains, Browning est un poète qui appuie son réalisme et son interprétation symbolique du réel sur une poétique de la modernité proche de Baudelaire. Mais son exploration, à la fois dialectique et mystique de l'univers, constitue également un témoignage lucide des bouleversements et des mutations idéologiques qui ont secoué la période victorienne.
La présente étude retrouve les lignes de force, la structure d'une thématique profonde conçue comme un réseau organisé de motifs récurrents ou d'images obsédantes ; elle reconstitue un univers imaginaire, un paysage tout personnel de préférences et de répulsions pour certains éléments, certaines matières, certaines catégories et formes sensibles. Mais s'il induit rêveries et sensations (au sens bachelardien et richardien de ces termes), l'univers imaginaire se conçoit aussi comme mise en scène et travail de désirs inconscients, lieu d'une activité fantasmatique. Psychobiographie et psychocritique se conjuguent ici pour aboutir au double dévoilement d'un « mythe personnel » et d'un « ordre caché » de l'art.