Sous l'impulsion de Caspar David Friedrich et de Philipp Otto Runge naît, au début du XIXe siècle, la peinture allemande romantique. Comme Novalis, Runge semble contempler le monde avec fasciniation et effroi, mais exprimer cette vision, naïve en apparence, par la profondeur d'un art très raffiné.
A l'instar de Friedrich, et plus que lui, Runge fut un théoricien de l'art. Sa peinture repose sur une logique méthodique. Il rédigea un traité des couleurs (Farbenkugel) paru, comme la Théorie des couleurs de Goethe, en 1810, et qui suscita l'intérêt des savants. Pour éclaircir son sujet, Runge se ressourça aux écrits mystiques de Jacob Böhme, collabora étroitement avec le physicien Steffens, enfin entra en correspondance avec Schelling et Goethe, Brentano et Tieck.
Runge entreprend en 1802, dans son langage propre « hiéroglyphique », la grande oeuvre de sa vie : les Moments de la Journée. Il s'agit de paysages spirituels, « absolus » malgré la présence de nombreux personnages, des enfants notamment. Selon la première idée qu'il se fait de ces peintures, Runge les voit accompagnées de musique. Tieck proposa d'en écrire les poèmes. Runge comptait ainsi réaliser l'oeuvre d'art totale, ce Gesamtkunstwerk qui hanta les romantiques, allait s'épanouir dans le Drame musical de Richard Wagner et plus tard inspira le mouvement artistique du Blaue Reiter. Pour ses Romances du Rosaire - vaste épopée lyrique d'inspiration religieuse - Clemens Brentano avait rêvé d'une fusion intime entre arts pictural et poétique. Il s'adressa à Runge pour le prier de suggérer par son pinceau les prolongements mystiques de sa pensée. Runge disparut avant d'avoir pu se mettre à la tâche.