Voici donc le premier corpus complet, et qui couvre trente-cinq ans, des lettres de Paulhan à l'un de ses correspondants.
Jean Paulhan « le Patron » ? Le « redoutable » Jean Paulhan ? Dire qu'il fut, entre 1925 et 1965 l'éminence grise de la N.R.F. et de la littérature, c'est au moins le réduire. Mais le mythe a la vie dure. Si Paulhan est en effet le plus efficace de ceux qui firent alors et faisaient faire la littérature — parfois la meilleure — au nom de quoi la faisait-il, et la faisait-il faire ?
« Pas une idée qui ne passe par la politique, écrivait-il. Bien heureux quand elle ne s'y arrête pas. » Voici un « bien heureux » qui nous arrête, car entre les lignes de ces lettres il faudra lire des contradictions qui agitent, s'agitent et ne se résolvent pas. L'Histoire les aura en partie résolues, malgré la N.R.F. et souvent contre celle-ci. Entre 1934 et 1940, entre 1945 et 1965, c'est-à-dire entre l'inflation, le rendement, le 6 février 34, les luttes ouvrières, la guerre d'Espagne, les fascismes français, les autres, la Résistance et ses confusions, la collaboration et ses compromissions, d'une part ; de l'autre la Libération, le Comité national des écrivains (C.N.E., ou Céné), puis la guerre d'Algérie. On lutte, on veut lutter. Selon quelles méthodes ? Au nom de quelles valeurs ? La littérature se découvre déjà un en soi, qui voudrait bien se protéger de l'extérieur, mais sa mauvaise conscience se trouve de nombreux alibis : être « de gauche », être « de droite ». Les clivages ne sont pourtant pas aussi simples. À preuve Jean Paulhan, qui flotte entre Blum, de Maistre, Maurras, Chesterton et Lao-Tseu, d'Aragon à Sartre en passant par Drieu, Fernandez, Céline, les Rose-Croix, Guénon, le Tao et le Zen.
Son interlocuteur — ici provisoirement silencieux — croit, lui, qu'il y croit. Mais à quoi, au juste ? (La Raison est-elle toujours une bonne raison ?) Il croit au Père, en tout cas, ce Jean Paulhan tout-puissant sur lui, ici partout présent, et qu'il faudra tuer, à l'âge d'homme.
226 lettres de Jean Paulhan, ou le triomphe des individualismes luttant pour le bien de tous... et la vanité des « artistes ».