Le plus grand des historiens de Rome est un Grec. Il y vécut longtemps et subit l'influence de la culture et de la mentalité romaines. Son jugement sur la conquête, qu'il considère comme l'un des phénomènes majeurs de l'histoire universelle, s'en trouve affecté, mais dans quelle mesure ? Question préoccupante pour les historiens modernes, qui attachent un grand prix aux informations de leur plus consciencieux prédécesseur. La diversité des approches comme l'incohérence apparente de la pensée polybienne dès qu'il s'agit de Rome ne permettent pas des conclusions unanimes : Polybe est-il un observateur grec impartial, un Grec romanisé ou un collaborateur cynique ?
Il faut, en fait, commencer par poser la question du latin de Polybe et de son bilinguisme. L'usage d'une langue étrangère entraîne pour le locuteur nombre de conséquences linguistiques (contamination de la langue maternelle) et psychologiques (modification de la vision du Monde). Michel Dubuisson, en étudiant en détail le premier de ces aspects — ce qui a permis de rassembler des données nouvelles sur la langue de l'historien, sur son utilisation des documents et sur sa vision des réalités romaines — dégage des perspectives concernant le second : les « interférences de mentalité », points de vue romains inconsciemment adoptés par Polybe. Ne sont-elles pas comparables aux interférences linguistiques par leur origine et leur nature ?
L'histoire, affirmait le médiéviste belge Godefroid Kurth, est inséparable de la philologie. L'histoire ancienne n'a pas fini d'exploiter les résultats que lui apporte une rigoureuse étude philologique des textes.