Elle m'appelait son Petit Jivago. Fin janvier 1956, la Grenzpolizei nous a arrêtés à la frontière de la R.D.A. Elle m'avait enlevé deux jours auparavant, peut-être pour prendre sa revanche sur la vie ou parce qu'elle voulait me communiquer l'histoire qu'elle avait endurée. Elle pensait sans doute que j'avais été conçu pour cette histoire. Dès qu'elle m'a vu, elle m'a appelé Jivago : Vivant, Syn Boga Jivago, Fils du Dieu Vivant. Elle était d'origine russe. J'avais trois ans et demi.
C'est l'histoire d'une rupture imposée par l'Histoire. Certains moments sont vrais, d'autres non, mais l'auteur ne saurait plus aujourd'hui établir le partage entre ce qui est inventé et ce qui ne l'est pas. C'est sans doute aussi cela écrire: essayer d'approcher l'existence que l'on n'a pas eue et rêver de l'échanger avec celle que l'on ne parvient à assumer qu'à grand peine.