Un même homme peut-il avoir été tour à tour militant du Front populaire et pétainiste? Résistant puis engagé volontaire dans la Waffen-SS? Rubi avait été cet homme-là. En garnison à Prague, à une Tchèque qui s’étonnait de voir un Français parader en uniforme nazi, il répliqua: «Madame, je me déshonore!» Il avait vingt ans.
Quel mal secret l’a poussé à retourner ainsi sa veste, à se renier sans cesse? La haine de soi? La haine des Juifs? C’est que l’Histoire, dans ses aberrations, tend trop de pièges aux hommes pour qu’ils puissent tous les éviter. Que pèse l’individu quand souffle la tempête des événements collectifs?
Rubi a existé, je l’ai connu quand je sortais de l’adolescence, je l’ai écouté et interrogé sans relâche. Mais le mystère de ce «roman» réside peut-être dans cette question: pourquoi ai-je voulu à tout prix le comprendre? Du moins y aurai-je appris que l’histoire vécue est toujours plus complexe que ce que les idéologies, rétrospectivement, nous en disent.
M.S.
De livre en livre, dans des univers et des contextes chaque fois différents, Morgan Sportès manifeste une véritable obsession pour les personnages en apparence incohérents, aux trajectoires erratiques, aux psychés fragmentées. Il est notamment l’auteur de L’appât,Outremer,L’insensé et Maos.