Malgré les critiques dont elles font l'objet, les ontologies renaissent tous les jours sous nos yeux, si ce n'est dans nos propres discours. Le besoin qui y pousse se satisfait le plus souvent de l'autorité du fait établi, sans chercher à connaître les conditions et, par là même, les limites de sa validité. L'on assiste ainsi à la formation de toutes sortes de systèmes hybrides, à mi-chemin entre l'idéologie et le bricolage savant, dont l'utilité historique consiste à exorciser, encore et toujours, notre grande peur de la modernité. En restaurant, sous les formes les plus diverses, l'immanence absolue de la réalité objective, ils servent à décharger le sujet moderne du poids de son autonomie et l'autorisent à se fondre, selon la formule d'Adorno, dans " un ordre hétéronome dispensé de se justifier devant la conscience ". Il convient donc de rappeler qu'il n'y a pas de commune mesure entre les élucubrations naïves, plus ou moins habiles, des adeptes du savoir réifié et les spéculations méthodiques d'un authentique penseur. Quelle que soit l'idée que nous nous faisons de la philosophie, il est de notre intérêt d'accueillir les tentatives les plus vigoureuses pour donner satisfaction aux besoins primordiaux de l'intelligence, à commencer par le besoin ontologique. Elles renouvellent, bien au-delà des resubstantialisations timides et bornées qui jalonnent le parcours de la science, le défi originel de la métaphysique. Nul doute que le beau texte d'Eric Alliez ne soit à compter parmi les réussites exemplaires de ce renouvellement. En restituant, avec autant de rigueur que de talent, les intuitions conjuguées de Gilles Deleuze et Félix Guattari, à la mémoire duquel le livre est dédié, il permet d'apprécier ce dont l'ontologie est aujourd'hui encore capable.