De sa relation critique à Heidegger, Apel a surtout dégagé la nécessité, en partie contre son ancien maître, de problématiser à nouveau le processus moderne de rationalisation. Dans " Expliquer comprendre ", il enregistre comme une des caractéristiques les plus contestables des mises en question de la technicisation du monde l'identification pure et simple de la rationalité à la démarche technoscientifique, comme si l'intervention de la raison se bornait à la " mise à disposition " objectivante du monde. Ainsi les efforts de ceux qui, depuis Schleiermacher et Dilthey, sont intervenus dans la controverse entre explication et compréhension n'ont-ils pu empêcher que l'hypothèse d'une rationalité spécifique de l'interprétation ne s'efface soit devant le privilège du modèle explicatif, soit devant le modèle d'un pur surgissement du sens, extérieurement à tout contrôle rationnel : là contre, Apel juge nécessaire de réaffirmer, au terme de sa reconstruction minutieuse des diverses phases de la controverse, la " rationalité de la démarche compréhensive passant par la communication langagière entre les hommes ". Parallèlement, l'ouvrage met en lumière comment le processus moderne de rationalisation a abouti à une dissociation du théorique et du pratique, en vertu de quoi s'est mis en place " ce système de complémentarité, idéologiquement caractéristique de l'Occident au XXème siècle, entre un scientisme ou un pragmatisme publics et un existentialisme privé, qui est éprouvé par beaucoup comme l' "ultima ratio" d'un ordre social pluraliste démocratique et libéral ".