Pour faire face au manque de motivation et, plus fondamentalement, au déficit de légitimation qu'entraînent les crises de la rationalité moderne, Jürgen Habermas propose de reprendre le projet des Lumières, afin de le poursuivre sous l'égide de la raison communicationnelle. À l'inverse, Richard Rorty dénonce le fétichisme de la loi et le fondamentalisme des besoins qui survivent dans l'éthique du consensus discursif, en radicalisant la critique postmoderne de la théorie de l'agir communicationnel inaugurée par Jean-François Lyotard. Pour l'un, le principe formel du meilleur argument doit se substituer aux prétentions substantielles de la raison moderne, qui s'était révélée non seulement impuissante à sauvegarder les systèmes politiques, juridiques et moraux hérités du passé, mais également incapable d'en instaurer de nouveaux. Pour l'autre, l'accord avec autrui et avec soi ne saurait être authentique qu'en respectant les conditions de la finitude humaine et en renonçant, une fois pour toutes, à fonder cet accord sur une contrainte légale, quelle qu'elle soit. C'est en se référant à ces options philosophiques divergentes que les contributions réunies ici, initialement présentées à l'occasion d'une décade organisée à Cerisy-la-Salle, procèdent à la mise en question(s), tant de la modernité que nous vivons que de l'idée que nous nous en faisons.