Un nouveau mode de rapport au monde est né en Grèce ancienne : l'attitude critique, laquelle a marqué durablement l'histoire occidentale pour ensuite s'imposer mondialement. Dès ce moment inaugural, beaucoup s’est joué, car l’indépendance de la pensée, le rapport questionnant au monde, la tradition de la discussion critique et du franc-parler — c’est-à-dire la tradition du rapport critique à la tradition — allaient pénétrer à l’intérieur des doctrines juive, chrétienne et musulmane pour en infléchir le cours, puis gagner à l’époque moderne leur espace propre dans la Cité. Inventeurs de la démocratie et de la philosophie, les Grecs ont donné naissance à cet éthos-critique dont le pli culturel n’allait plus nous quitter.
Le présent essai propose donc une lecture du Monde moderne fondée sur une réinterprétation de l’input antique grec, une analyse qui tient compte de la nouvelle humanité, critique et réfléchie, découverte en Grèce, et qui prend ses distances vis-à-vis des approches proposées par des auteurs comme Hans Blumenberg (la Modernité relève d’une autoaffirmation absolument originale), Marcel Gauchet (le désenchantement du monde est un phénomène essentiellement tardif ; la démocratie d’aujourd’hui tout autre chose que la démocratie antique), et Rémi Brague (l’Occident tient davantage de la Rome hellénisée et christianisée que d’Athènes).
Notre civilisation a sans doute rompu avec certains aspects de sa tradition, mais elle n’a pas rompu avec son passé, celui plus ancien qu’elle redécouvre maintenant de manière plus libre. Le but de l’ouvrage n’est d’ailleurs pas de sacraliser l’hellénisme, mais de montrer que le potentiel critique, inscrit dans la dynamique même de cette culture, peut nous aider à mieux comprendre – et à mieux défendre – la société ouverte d’aujourd’hui.