Plus me plaît dans ma demeure une rave,
que je cuis, et cuite enfile sur une broche,
épluche, et arrose de vinaigre et verjus,
qu'à la table d'autrui grive, perdrix ou porc
sauvage ; et sous une vulgaire couverture,
je me couche aussi bien que sous la soie ou l’or.
Et plus me plaît de reposer mes membres
paresseux, que de les vanter d’être allés chez
les Scythes, Indiens, Éthiopiens et au-delà.
Les appétits des hommes sont variés :
aux uns plaît la tonsure et à d’autres l’épée,
patrie aux uns, et lointains rivages à d’autres.
[…]
J’ai visité Toscane, Lombardie, Romagne,
le mont qui partage et celui qui l’Italie
enserre, et l’une et l’autre des mers qui la baignent.
Cela me suffit ; quant au reste de la terre,
sans jamais payer d’hôte, je l’explorerai
avec Ptolémée, qu’il soit en paix ou en guerre ;
Et la mer entière, sans former des vœux dès
qu’il fait des éclairs, en sûreté sur des cartes
j’irai parcourant, plutôt que sur des navires.
Satire, III 43-66, 1518
Cesare Segre (1928-2014) , un des tout premiers philologues et linguistes italiens des soixante dernières années – et grand connaisseur, entre autres, de la littérature française du Moyen-Âge –, a tout au long de sa carrière consacré une part considérable de son activité au texte tant des œuvres mineures de l’Arioste que du Roland furieux.
Paul Larivaille est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur la civilisation et la littérature de la Renaissance italienne. Il a récemment réuni neuf de ses travaux sur l’Arioste dans un volume intitulé L’Érotisme discret de l’Arioste et autres essais sur le « Roland furieux », 2010.