J’ai beaucoup marché dans des villes inconnues. Villes réelles ? Villes rêvées ? Elles me viennent à l’esprit, telles qu’elles se drapèrent tout au long de ces déambulations, quand je tente de me représenter ce qu’est devenu pour nous le sentiment des terres vierges, des bêtes sauvages et des forêts impénétrables. C’est la frondaison des avenues et la rumeur des carrefours qui m’apparaissent en réponse.
Aller par les rues, au milieu de visages inconnus, de parlers inintelligibles ; et quelquefois, au détour d’une avenue, réinventer soudain les «dômes d’albâtre», les «terrasses étincelantes» de Wordsworth, ou les «splendides villes» de Rimbaud : un piéton inlassable, toujours à nos côtés, prolonge l’ancestrale aventure des nomades qui, au spectacle de ces architectures dressées sur l’horizon, croyaient l’Au-delà mis au bout de leur route.
Les pages qui suivent sont habitées par le regard d’un tel marcheur. Qu’importe le but ! De la désinvolture du flâneur à l’inquiétude du piéton égaré en passant par la souveraine indifférence de l’homme pressé, chacun chemine dans l’énigme des choses, des êtres et de sa propre chimère. Chacun construit, à force de déplacements et selon les facettes d’un œil d’insecte, cette grande figure de la contingence moderne qu’est une ville.