« Tu es un tendre jardinier, Salvatore, et les fleurs que tu provoques gardent la fraîcheur et la sauvagerie des bouquets de bord de route.
On en prend une, on se la plante entre les dents et brusquement elle devient chanson, « chanson-fleur » douce à mâchonner à l'heure indécise où les hommes entrent par milliers dans les villes cruelles.
Notre temps bave son bruit, et tu es là, revenant de l'enfance à lui opposer des fleurs et à nous les offrir.
Et voilà que quelque part une jeune fille nue tendue comme un soleil te fredonne et pour quelques instants Roubaix est dans le Var.
Voilà que ce lundi matin un homme se réveille les yeux encore pleins de son dimanche et te chante sourdement dans la maison qui baille. Et le prochain dimanche est déjà moins loin.
Et voilà aussi le nombre inconnu de toi et de nous, énorme et merveilleux, le nombre d'hommes et de femmes qui s'aimèrent, qui s'aiment, qui s'aimeront, avec, par, ou pour une de tes chansons.
Et là encore, tu es le jardinier de ces couples lumineux tant que brûlera leur enviable folie... et même après, si par malheur ou par trop de quotidien, il leur arrivait de perdre leurs ailes. »
Jacques Brel