L’architecte urbaniste le plus connu au monde, qui fut l’incarnation du Mouvement moderne au XXe siècle, n’a pas échappé à la mode de ce populisme imprécateur de la mémoire qui, au nom de la morale, déboulonne les statues et détrône les grandes figures de l’histoire.
À l’occasion du 50e anniversaire de sa mort, et alors qu’était lancée une procédure d’inscription de son œuvre sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, un tir groupé d’ouvrages a transformé Le Corbusier en « fasciste », en « collaborateur » du régime de Vichy, voire en « nazi ».
André Malraux, dans l’oraison funèbre qu’il a prononcé à son « vieux maître », le 3 septembre 1965, déplorait qu’« aucun n’a été si longtemps, si patiemment insulté » que lui. Mais il pensait que « la gloire trouve dans l’outrage son suprême éclat » et que « cette gloire-là s’adresse à une œuvre plus qu’à une personne, qui s’y prêtait peu. » Il se trompait : c’est à sa personne et à sa pensée qu’on s’attaque à partir du rôle politique que l’architecte franco-suisse aurait joué à Vichy.
Quel a vraiment été ce rôle ? Telle est la question à laquelle se propose de répondre ce livre, à partir d’une démarche historienne distanciée et documentée.
En analysant cette campagne de dénigrement, il s’agit de dévoiler les biais cognitifs et méthodologiques qui traversent le discours des « redresseurs de morts », d’identifier les déficits de connaissance et les manipulations qui, au nom de l’exigence de démystification, témoignent d’abord d’une volonté de salir plutôt que de savoir.