Relisons ici Virgile et Ovide : l'Énéide comme épopée initiatique des origines de Rome, et le poème mythologique des Métamorphoses. Au-delà de l’homme romain, Virgile et Ovide y parlent à chacun de nous : la mythologie est la terre natale de toutes les formes symboliques. Par delà vingt-deux siècles, nous nous sentons dans une fraternité avec les peurs, les joies et les désirs qui s’y expriment. Énée, confronté à l’incertitude du risque et à la certitude de l’amour, est l’archétype de chacun de nous essayant de construire son espace personnel. En tant qu’homo viator, il est à la fois guerrier, passeur et exilé ; et comme héros fondateur, il met en ordre le monde, à mesure qu’il progresse dans l’organisation de sa psyché. Comme le dit Paul Veyne dans sa préface à ce livre, nous y trouvons la « vérité profonde » de ces « structures privilégiées de l’imaginaire humain ».
Au-delà de ces fulgurances, c’est cet écho que Joël Thomas essaie de repérer plus généralement dans l’imaginaire des Latins, aussi bien pendant la période augustéenne que dans ses influences, en particulier dans la construction de l’Europe. Car, dans une forme de feed back, l’Énéide est à la fois la matrice et le reflet de la romanité ; et le phare de la romanité ne s’est pas éteint avec ses formes matérielles. L’Énéide inspirant La Divine Comédie, ou relue par la Créüside de Magda Szabo, Ovide revisité par David Malouf, ou Catulle modèle possible pour Le Bateau Ivre de Rimbaud : même lorsque ses formes transitoires ne sont plus, Roma Aeterna demeure, et « ce qui demeure, les poètes le fondent » (R.-M. Rilke).
Joël Thomas est professeur émérite de Langue et Littérature latines à l’Université de Perpignan-via Domitia. Spécialiste de Virgile et de la poésie augustéenne, mais aussi des méthodologies de l’imaginaire, il a publié de nombreux ouvrages dont Structures de l’imaginaire dans l’Énéide (Les Belles Lettres, 1981, rééd. 2015), Mythes et littératures (2002, rééd. 2012) et L’imaginaire de l’homme romain. Dualité et complexité (2006).