Comment penser l'argent ? Ce titre en forme d'oxymore, né de réflexions et d'échanges contradictoires entre une économiste et un philosophe, voudrait inscrire ce dialogue sur le terrain du politique, seul susceptible de résoudre ces antagonismes.
En période troublée, le fondement de la politique consiste à décider entre la guerre et la paix, entre la mort et la vie. En période apaisée, cela consiste à décider de la création et de la distribution de l'argent. Décider des effets qu'on en escompte (la liberté individuelle ou l'aliénation du plus grand nombre) ou que l'on cherche à empêcher (la misère, des inégalités indécentes, la sécession des plus riches) ; décider de ce qui, dans la vie sociale, mérite d'être monétisé et de ce qui doit au contraire en être protégé ; décider de ce qui doit être cédé à la libre initiative de chacun et de ce qui doit en être prélevé par la puissance publique ou la pression sociale pour être ensuite redistribué suivant des modalités et des fins elles-mêmes à délibérer collectivement.
Ce livre, issu des regards et des impasses croisés de l'économie et de la philosophie, cherche à montrer que l'argent est d'essence politique. Ce qui signifie au moins deux choses. D'abord qu'il n'y a pas là de vérité strictement morale ni strictement économique : il n'existe pas de bon rapport personnel à l'argent et pas davantage de science exacte de la monnaie – ni de la création monétaire, ni du juste prix, ni de sa juste répartition. Et ensuite que l'argent est avant tout politique en tant qu'il noue l'intime et le public, les pulsions et le froid calcul, les corps et les fantasmes, en bref le plus matériel et le plus abstrait. L'argent est une abstraction matérielle, un signe vide mais commun surgi du tréfonds de nos corps jouissants et qui détermine l'existence du plus grand nombre tant qu'il n'est pas pensé et pris en charge sans relâche par l'ensemble d'une communauté politique.