Que sont devenus les anciens soldats et travailleurs ayant participé aux essais nucléaires menés par la France au Sahara et en Polynésie dès le début des années 1960 ? Certains d’entre eux sont récemment sortis de l’oubli et se sont rappelés au souvenir de l’État. Ils se sont mobilisés afin d’obtenir réparation pour le préjudice qu’ils estiment avoir subi du fait de leur exposition à la radioactivité. Avec eux, un certain passé, celui de la « grande aventure de la bombe », est retombé et c’est une autre histoire qui commence à s’écrire, celle de ses victimes. Mais que signifie pour ces anciens soldats le fait de « devenir » victime ? En suivant au plus près la lutte à la fois juridique et politique menée par ces « vétérans des essais nucléaires », ce livre met en lumière le caractère complexe et ambivalent de tout processus de victimisation. Car comme le montre ce cas exemplaire, les victimes elles-mêmes éprouvent parfois de grandes difficultés à endosser complètement ce statut qu’elles ont pourtant revendiqué. Tel est le paradoxe de la victime.
Yannick Barthe est sociologue, directeur de recherche au CNRS et membre du Laboratoire interdisciplinaire d’études sur les réflexivités de l’Institut Marcel Mauss (EHESS). Il a notamment publié (avec Michel Callon et Pierre Lascoumes) Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique (Seuil, 2001) et Le Pouvoir d’indécision. La mise en politique des déchets nucléaires (Economica, 2005).