La « vraie vie » est un mythe tenace qui résiste à tous les démentis rationnels et peut prendre les formes les plus contradictoires. Pour Rimbaud, elle est « absente ». Pour Proust, c’est la « littérature », donc elle n’existe que dans les livres. Certains croient possible de l’atteindre à la faveur d’une expérience exceptionnelle : il n’y aurait pas de vraie vie. D’autres, à l’inverse, dénoncent ce qu’ils considèrent comme une pure illusion et tiennent qu’il faut trouver la vraie vie dans la vie tout court : loin d’être l’exceptionnel, elle serait le plus banal, le plus ordinaire.
À vingt ans, je cherchais déjà une réponse. Tout en me répétant avec une ferveur morose le mot de Rimbaud, je ne désespérais pas d’avoir un jour ma « vraie vie » à moi, dont je me faisais une idée extrême. Si elle n’avait pas été extrême, elle n’aurait pas été à la hauteur de l’exigence qui était la mienne à l’époque.
Soixante ans plus tard, fouillant les livres et la presse pour y retrouver les traces du mythe, je m’aperçois que ce problème resté en suspens touche de près une autre réflexion que je mène depuis longtemps sur le « romanesque », catégorie tout aussi insaisissable et ambiguë. L’objet des pages qui suivent est de proposer, à partir de l’examen de ces deux notions, une hypothèse générale sur le roman. Je la confronterai ensuite avec ma propre expérience d’écrivain et avec une brève histoire du genre, tel que voient les romanciers eux-mêmes.
Bernard Pingaud
Bernard Pingaud est né à Paris en 1923. il est secrétaire des débats à l’Assemblée nationale jusqu’en 1974. Durant la guerre d’Algérie, il signe la déclaration des 121 (1960). Il a été également conseiller culturel auprès de l’ambassade de France au Caire et président de la Maison des Écrivains à Paris. Il est l’auteur d’une vingtaine de romans et essais chez Gallimard et au Seuil où ont paru : Bartoldi le comédien (1996), Tu n’es plus là (1998) et A u nom du frère (2002).
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