« Inquiéter » la philosophie, c’est distiller en elle un désarroi tel, au fil des pages, qu’elle ne se retrouve plus dans ses questions ; la débusquer là où elle se croyait tranquille pour la porter à se réfléchir en amont.
Car, en concevant une efficacité qui ne procède pas par modélisation (Conférence sur l’efficacité) ; une sagesse pour qui avancer une idée est déjà verser dans la partialité (Un sage est sans idée) ; ou bien une image qui soit moins mimétique que vectrice d’énergie (La grande image n’a pas de forme) ; un « mal » qui ne soit qu’obstruction du cours, du monde comme de la vie (Du mal/du négatif) ; aussi bien qu’un « vivre » qui ne soit plus suspendu au Bonheur (Nourrir sa vie) – la Chine rompt insidieusement, par un biais ou par un autre, avec nos attendus. Ou encore : en ne faisant pas du Nu l’idéal de la beauté (Le Nu impossible) ; en ne faisant pas du temps ce grand axe dominant l’existence (Du « temps »).
Façon de repasser par les lieux les plus familiers de la pensée européenne et, par la puissance de l’écart chinois, de les brusquer hors de la banalité ; et de voir soudain saillir, chemin faisant, ce qu’on ne pensait pas à penser.
F.J.
François Jullien, philosophe et sinologue, professeur à l’université Paris 7-Denis-Diderot, est directeur de l’Institut de la pensée contemporaine.
Son travail est traduit dans une vingtaine de pays.