C'est entendu : nous vivons dans une « société d'individus ». Mais on peut entendre ce diagnostic de deux manières. D’un côté, l’individu serait un être absolument indépendant par rapport aux appartenances collectives ; de l’autre, il sacrifierait au culte du moi et au narcissisme. Dans ces deux formes d’individualisme négatif, le sujet n'accepte rien à part lui-même. C'est évidemment un leurre, car l’individu en société ne « tient » pas tout seul. Une politique de l’individu doit donc passer par le soutien, au niveau des politiques tant publiques que locales. Plus fondamentalement, la question du lien social doit devenir un objet politique, afin que les capacités de chacun et la protection de la vulnérabilité soient prises en compte dans la définition du bien-être collectif.
Fabienne Brugère est professeure de philosophie à l'université de Bordeaux 3. Elle a publié de nombreux ouvrages, dont Le Sexe de la sollicitude (Seuil, 2008) et un Dictionnaire politique à l'usage des gouvernés (Bayard, 2012, avec Guillaume le Blanc).