Chez moi, on était juifs de père en fils. Enfant, je le fus donc à mon tour. Mais pour quoi faire ? À douze ans, je croisais le chemin d’un vieil homme au regard profond : « Sauras-tu en faire autre chose qu’un mot ? » C’est ainsi que tout a commencé.
Depuis la guerre, ma famille entière demeurait tapie dans le silence. Je devrais tout apprendre par moi-même. Entre les bus de Vichy remplis d’israélites et ceux de Maurice Papon chargés de bougnoules, le monde m’apparut comme gelé de l’intérieur. À l’école, les gamins antisémites me faisaient honte, sans que je sache dire vraiment de quoi. Tous avaient décidé pour moi ce qu’était être juif : Auschwitz et Israël, en boucle jusqu’à l’épuisement. Était-ce seulement cela ?
F.E.
Ancien journaliste à Libération, Frank Eskenazi est producteur de films documentaires. Engagé pour la justice et le droit du peuple palestinien, il est aussi le coauteur d’un livre sur le judaïsme français.