Selon une antique tradition, c’est Pythagore qui a inventé l’harmonie. On rapporte qu’un jour, alors qu’il se promenait près d’une forge, il entendit de merveilleuses sonorités et s’aventura à l’intérieur pour en savoir plus. Il y trouva cinq hommes qui frappaient avec cinq marteaux. À sa vive stupéfaction, il découvrit que quatre de ces marteaux avaient entre eux d’admirables rapports de proportion, qui, réunis, allaient lui permettre de reconstituer les lois de la musique. Mais il y en avait aussi un cinquième. Pythagore le vit et l’entendit, mais ne parvint pas à le mesurer ; il ne put davantage rendre raison de ce son discordant. C’est pourquoi il l’écarta. Qu’était-ce donc que ce marteau, pour que Pythagore décidât si résolument de le rejeter ?
Dans Le Cinquième Marteau, Daniel Heller-Roazen montre que ce geste mythique donne une clé pour comprendre ce que fut autrefois l’harmonie : théorie des sons musicaux, mais aussi paradigme pour l’étude scientifique du monde sensible. C’est en vertu de l’harmonie que l’on a réussi à transcrire la nature dans les éléments idéaux des mathématiques. Pourtant, à de multiples reprises, cette entreprise s’est heurtée à une limite fondamentale : quelque chose dans la nature lui résiste, refuse de se laisser transcrire dans une série d’unités idéales. Un cinquième marteau continue obstinément à résonner.
De la musique à la métaphysique, de l’esthétique à la cosmologie, de Platon et Boèce à Kepler, Leibniz et Kant, Le Cinquième Marteau révèle que les efforts pour ordonner le monde sensible n’ont cessé de suggérer l’existence d’une réalité que ni les notes ni les lettres ne sauraient pleinement transcrire.