Le 15 mai 2008, celui que dans le livre j’appelle BW perd brutalement l’usage de ses yeux.
Dans l’urgence de parler pour tenir tête au désarroi, BW me livre alors tout ce qu’il a gardé secret durant nos années de vie commune : ses fugues, ses frasques, ses trekkings dans l’Himalaya, sa fulgurante carrière de coureur à pied, les souvenirs obsédants d’un Liban déchiré par la guerre, autant d’expériences, autant de détours qui l’ont conduit, il y a trente ans, à travailler dans l’édition.
Car BW est éditeur, et la littérature, sa vie.
Avec une ironie désenchantée, il me parle, le jour, de ses quinze existences passées, de son métier déraisonnablement aimé et de sa décision, mûrie dans le noir, de tirer sa révérence devant des mœurs éditoriales qui lui sont peu à peu devenues étrangères.
Je compose, la nuit, le texte dont il est le centre avec le sentiment que son geste de quitter ce que d'autres s'acharnent à rejoindre revêt aujourd'hui un sens qu'il faut, à tout prix, soutenir.
Tous deux nous nous sentons poussés comme jamais par une nécessité impérieuse. Pour lui, celle de dire ou de sombrer. Pour moi, celle d’écrire ces mots-là, et aucun autre.
Ce livre, écrit à vif, est le roman de cette traversée.
LS