Ce que je crois qu’en tout cas je puis dire de vrai, à propos de Rimbaud, c’est qu’aucun autre que lui ne m’aura requis en poésie par autant d’intensité, d’immédiateté, de proximité dans sa voix. Voix qui elle-même demande, voix qui affirme et bien sûr se trompe, mais se reprend, vit de se reprendre, portée, secouée par les deux grandes forces qui font que l’on est au monde […] : d’une part l’espérance, qui veut croire possible que l’existence soit un partage et donc que la vie ait un sens, d’autre part la lucidité qui déconstruit les illusions successives en quoi l’espérance s’enlise […].
Espérance et lucidité, c’est le titre que j’aurais pu donner à ce livre […]. Mais j’en ai préféré un autre parce que m’alarme de plus en plus un certain déni que je vois qui se répand aujourd’hui de l’intuition proprement poétique, à cause d’une lucidité mal fondée dont la conséquence est un renoncement désastreux à l’espérance. Et que s’inquiéter ainsi, c’est savoir à quel point Rimbaud, que l’heure présente lit peu, ou mal, est et va rester nécessaire.
Lire un grand poète, ce n’est pas avoir à décider qu’il est grand […], c’est lui demander de nous aider. C’est attendre de sa radicalité qu’elle nous guide, tant soit peu, vers le sérieux dont on est peut-être capable.
[…] Je ressens ces approches de Rimbaud, commencées il y a maintenant cinquante ans ou presque, comme surtout une sorte de journal de mon affection pour ce poète.
Y . B .
Yves Bonnefoy est professeur au Collège de France. Il a notamment publié dans la même collection Lieux et Destins de l’image et L’Imaginaire métaphysique.