« Sa présence me donnait la sensation d’un feu glacé. Ses gestes étaient aussi pleins, aussi calculés, aussi précis que ses phrases. Le passage de l’action à l’immobilité se faisait chez lui de manière si insensible et si leste que l’une et l’autre se superposent encore aujourd’hui, dans mon souvenir. Je revois sa main légèrement levée – la gitane instable entre l’index et le majeur, et sa fumée flottante sur ses longs ongles jaunes – je la vois planer sans bouger ou à peine, puis, sans nervosité aucune, porter la cigarette à sa bouche et aux choix, regagner son état d’apesanteur ou atterrir sur un genou et dormir dessus comme de la mousse sur une pierre. Les mouvements de Genet mimaient le mouvement du temps qui s’entasse au lieu de passer. Il en résultait une sorte d’air enfermé et pourri qui évoquait, en effet, le mariage d’une mort et d’une rose. Ses deux fleurs préférées. »
Dominique Eddé a connu Jean Genet dans les années soixante-dix. Elle dresse ici un double portrait de l’homme et de l’œuvre. Notant l’absence de père dans ses écrits, elle montre en quoi son parricide prit la forme d’un attentat contre la loi. Son approche comparée au crime chez Dostoïevski et chez Genet contribue, notamment, à éclairer les rapports de ce dernier à la France et à la Palestine, au judaïsme, au christianisme et à l’islam, au blanc, au théâtre et, tout au long, à la mort.