L'ambition de ce livre, et elle est grande, est de faire vivre à son lecteur, qu'il soit ou non philosophe, le trajet fulgurant qui, en quelques années, a transformé le mathématicien Alfred North Whitehead en philosophe spéculatif.
De la pierre grise que je vois là jusqu'à la création du Dieu qu'exige la cohérence spéculative, il s'agit bel et bien de cette «libre et sauvage création de concepts» associée à la philosophie anglaise par Deleuze et Guattari dans Qu'est-ce que la philosophie ? Mais «sauvage» signifie d'abord ici l'humour d'une mise à l'aventure de tous les «nous savons bien» qui rassurent, et l'expérimentation tranquille des concepts qui portent à leur plus haut degré, pour les faire converger, liberté et contrainte, audace et obligation.
De l'aventure, nul ne devrait ramener une doctrine ou un mode de pensée unanime ; plutôt, différent pour chacun, un certain goût pour les questions qui mettent en risque, et une grande indifférence aux mots d'ordre qui prétendent nous dire comment penser.