« Un texte primitif très bref, d’une trompeuse clarté, construit, en vingt lignes, avec la rigueur sans bavure d’une nouvelle de Kafka, et fixé depuis plus de deux millénaires, semble s’être dissous dans la conscience de notre civilisation, n’y laissant que ce maigre résidu : la tour de Babel. Image connue, mais embrumée à nos yeux, véhiculée par un confus souvenir biblique, point d’appui d’une métaphore signifiant vaguement à la fois désordre extrême et impossibilité de s’entendre.
Extrait peut-être d’une épopée archaïque, ce texte s’inscrivit cependant, originellement, dans le temps réel de ceux qui le notèrent. Il marquait pour eux l’aboutissement d’une expérience, quelle qu’elle fut, et en tirait la leçon.
Par la suite, tous les discours touchant Babel constituèrent la glose de ce récit premier, de siècle en siècle plus affaiblie et parfois aberrante, jusqu’à la banalité d’aujourd’hui. Car le mythe de Babel n’est à proprement parler signe de rien, et comme il ne comporte pas de héros et ne connaît de personnages que collectif et sans nom, il se dérobe aux descriptions trop nettes et semble même demeurer extérieur à ce que peut avoir de plus dramatique la représentation de noter destin. Pourtant, cet aspect, dont il n’est pas impossible de dégager, avec quelques attentions, la perspective. »
P. Z.