La mémoire est une invention difficile. pendant des années, je n'ai retrouvé de la mienne qu'une accumulation, un entrelacs d'instants, de rencontres, de souvenirs : une mémoire en morceaux. Ecrire, c'était vouloir redonner une forme à ma vie. J'ai cherché longtemps. Puis l'idée du triptyque s'est imposée. Elle permettait un rythme et, avec ses variations, le retour d'une cohérence, comme une figure du temps.
La remémoration est affaire de visages. Se précipitant vers moi, ils occupent tout l'espace du panneau de gauche. À travers la barbarie de nos défigurations, les visages de ceux que j'aime, à travers les injures faites aux victimes, les figures de la folie qui me hantent, et passant de l'effroi à la tendresse, de la colère à la compassion, du mépris à l'amitié, de la terreur à la haine, des effusions amoureuses à la souffrance du coeur, j'ai retissé le lien.
Je pouvais alors retourner en arrière, jusqu'aux premières années de l'enfance (1940-1945) en Algérie, dans cet espace trop lumineux, pour y retrouver le désastre et la figure de qui j'étais, insupportable gamin, innocent et obscène, qui construisait sa résistance. Le panneau central est celui des origines. Celui de droite appartient aux paysages, à la paix venue, aux bruissements des couleurs, à l'achèvement des livres, à l'humidité de l'aquarelle, au désert entrevu.
C'est maintenant fini. Les volets du triptyque sont rabattus sur le panneau central. Quelque chose dort, à l'abri de tout regard, une forme dans l'obscurité, sous les visages et les paysages.