Dans son célèbre ouvrage, L’Origine des espèces, Darwin ne s'est pas uniquement préoccupé d’établir la sélection naturelle : il y mène également une réflexion sur les variations, les causes qui les produisent et les lois par lesquelles elles sont transmises ou non à la descendance.
Cette tension entre variation et sélection, qui traverse l’ouvrage dès 1859, influença la réception de L’Origine. Elle autorisa en effet plusieurs manières d’être darwinien ou antidarwinien, au point de susciter des revendications paradoxales : certains crurent que l’important était la recherche des lois de la variation, et qu’ils pouvaient se proclamer darwiniens tout en rejetant la sélection naturelle si centrale dans le darwinisme… Les querelles de traduction et les ambiguïtés nées des modifications apportées par Darwin lui-même aux éditions successives de son œuvre aggravèrent encore les tensions.
Au fil de l’analyse, on constate que darwiniens et non-darwiniens composent une palette fort nuancée et qu’ils finissent par se rejoindre dans une commune posture : pour défendre leurs positions, tous jouent Darwin contre Darwin.
Thierry Hoquet est maître de conférence en philosophie à l’université Paris X-Nanterre.