Une évidence, le plaisir de nos papilles est menacé. Cinquante années d'agriculture intensive et son corrollaire de la grande distribution ont nourri à satiété nos sociétés au prix d'une réduction drastique de la biodiversité et d'un appauvrissement du goût des aliments. Ce qui est vrai un peu partout l'est aussi dans les Alpes.
Contre toute attente les récits des voyageurs des temps anciens nous montrent une société frugale soumise à la dure loi de la nécessité. Des soudures parfois difficiles à la fin de l'hiver où loin s'en fallait de manger tous les jours à sa faim. L'avènement du tourisme créera de toutes pièces la notion de goût chère à Brillat-Savarin, et plus récemment avec Curnonsky, prince des gastronomes, celle de terroir.
Si Rodolphe Töpfer au début du XIXe siècle peut vanter à juste titre les succulentes poulardes de Boëge en Savoie ou les truites fameuses d'un torrent alpin, d'autres agapes rustiques évoquent plus sûrement le recul d'Alexandra David-Neel devant un plat dans une pauvre maison du plateau tibétain.
Depuis un demi-siècle, pour la première fois de notre histoire le plus grand nombre mange à sa faim. S'il n'en fut pas toujours ainsi, il n'en reste pas moins que les nombreux jours chômés compensaient la monotonie des jours ordinaires. Car on savait faire la fête, baffrer et s'enivrer quand l'occasion s'en présentait, et exprimer son contentement en paroles et en chansons avec une verdeur que nous imaginons mal aujourd'hui.
De ce patrimoine vernaculaire, que reste-t-il aujourd'hui ?