Éxiste-t-il un bon air dans les montagnes, un air qui favoriserait la santé ou la guérison de la maladie ? Nul ne peut l'affirmer, mais le tourisme d'altitude naît au XIXe siècle de la certitude que la pollution est moins forte au voisinage des sommets que dans les banlieues enfumées et malsaines nées de la révolution industrielle. Justement, n'est-ce pas là qu'apparaît à la même époque un fléau épidémiologique comparable par son ampleur à la peste noire médiévale ? La tuberculose va durant un siècle mobiliser la science médicale et entraîner la construction en montagne d'immenses complexes hospitaliers. Certes des vies seront sauvées, mais à quel prix ? Déracinement de longue durée, mutilations douloureuses et souvent inutiles, cohabitation et ségrégation sexuelle comparables à la vie carcérale, monastique ou militaire sont les marques infamantes de cet isolement du malade dans ces casernes médicalisées que furent les sanatoria alpins. La contrepartie positive de ces traitements trop souvent barbares et peu efficaces, jusqu'à l'avènement des antibiotiques qui trouvent aujourd'hui leurs limites, s'énonce en un mot : le temps, infiniment de temps pour le rêve, l'étude, voire dans le meilleur des cas, la création. Des poètes, des écrivains, des artistes innombrables, et non des moindres, ont sublimé leurs souffrances et leur ennui dans des uvres qui n'auraient jamais vu le jour sans cette incarcération montagnarde subie et consentie. Comme le remarque avec pertinence Stefan Zweig entre les deux guerres dans une formule saisissante reprise un plus tard par un malade dans le titre d'un récit poignant : "La maladie est le luxe des pauvres". En dépit de la reconversion médicale et touristique inévitable et heureuse de ces établissements, la nature sauvage, l'air pur de la montagne, son soleil éclatant, ses forêts de conifères et ses panoramas demeurent encore pour un temps un symbole puissant de la santé physique et morale.