Il y a une crise moderne de la notion de vérité. La plupart de ses caractères traditionnels – l’absolue certitude, l’unicité, le fait de refléter fidèlement la réalité – ne semblent plus parfaitement adéquats pour définir le savoir produit et validé par les sciences actuelles. Quant à l’idée d’une « vérité » religieuse ou philosophique à laquelle nous pourrions ancrer nos vies, elle répugne de plus en plus à une civilisation devenue laïque et pluraliste. Faut-il donc considérer, ainsi que nous y invitent nietzschéens et pragmatistes, l’idéal de vérité comme une idole d’un autre âge, dernier vestige d’une mentalité dogmatique aujourd’hui répudiée, et le remplacer par des valeurs plus modernes – intelligibilité, créativité ? Ou ne faut - il pas au contraire maintenir que le projet de regarder la réalité en pleine lumière est bien au centre du projet de la civilisation moderne : et constater simultanément qu’il est normal qu’en se réalisant ce projet ait débouché, en même temps que sur la production d’un savoir surabondant, sur la prise de conscience de l’impossibilité de son parfait achèvement.