Dans leur lutte contre le dogmatisme et le trouble qu'il cause, les sceptiques ont fait du langage un des pièges majeurs dans lequel celui qui cherche à philosopher se précipite inévitablement. Tout en s'inscrivant dans le vocabulaire philosophique traditionnel pour le critiquer et parfois le subvertir, les disciples de Pyrrhon ont usé de stratégies expressives permettant de suspendre la portée référentielle de leur discours, inventant ainsi un « nouveau langage » compatible avec leur suspension absolue du jugement. Parler aux dogmatiques de leur philosophie sans rien asserter pour autant, afin de les conduire à renoncer à l'obsession irritante de la maîtrise discursive, telle est la gageure du scepticisme, rationalisme dont l'exigence est précisément d'éliminer de son propre exercice tout effet passionnel néfaste. En ouvrant le regard de l'individu au-delà des ornières du langage et de l'argumentation, le scepticisme convie à renouer avec l'expérience, à épouser la vie sans qu'aucune médiation intellectuelle ne pervertisse cette immédiateté par l'inquiétude qu'elle finit toujours par entraîner. Explorer le vocabulaire usité par les sceptiques, c'est cheminer avec eux sur cette voie libératrice qui passe par une manipulation distanciée des mots dans le champ philosophique.