Dans l'horizon de l'histoire de la pensée, Sartre est le dernier moment des philosophies de la subjectivité inaugurées avec Descartes et l'époque moderne. Il conduit à sa forme extrême l'affirmation que toute notre pensée, que toutes nos conduites s'enracinent dans la spécificité de la conscience et de la liberté. La conscience est l'ouverture vers le monde ; la liberté, notre nécessité d'inventer les chemins de l'humanité. Ainsi les premières œuvres de Sartre sont-elles de pure philosophie. Mais l'importance de plus en plus massive de la situation dans laquelle chaque homme se trouve et de ses caractères factuels tant person-nels, matériels qu'histo-riques auxquels il lui appartient de donner sens, oriente l'activité de Sartre dans d'autres domaines investis par l'enjeu philoso-phique. Romans, pièces de théâtre, revue des Temps modernes, prises de position et contacts poli-tiques, sont autant de conséquences de deux thèses philoso-phiques décisives : l'homme est ce qu'il fait ; l'homme est une existence et pas seule-ment une pensée solitaire et rationnelle. Aussi la sémantique sar-trienne présente-t-elle une double particularité : d'une part des termes d'une langue philoso-phique de spécialiste, d'autre part la signification renouvelée et spéci-fique de formules de la langue courante. Une œuvre aussi foisonnante et diverse n'évite sûrement pas les contra-dictions et les difficultés de cohérence. Encore faut-il avant de prendre une distance critique, s'efforcer d'en suivre les méandres et les lignes de force.