Ce matin, elle cherchait un livre à ouvrir pour lire le monde à travers les yeux d’un autre. À travers les yeux de son voisin. Pour pouvoir ouvrir son propre visage à celui qui se donnait à lire. Il y avait deux clients dans la librairie et le libraire marchait, un ouvrage à la main, vers la vitrine. Il s’agenouilla devant une étagère et lui fit un signe de tête de bienvenue, sans sourire. Il entreprit de réorganiser la disposition intérieure. Elle resta un moment dans la rue pour tenter de comprendre les mouvements, le déplacement de certains livres, la disparition de certains autres dans un carton près du libraire.
Au décès de son mari, Jeanne se désengourdit de ce temps de vie commune. Loin des cases dans lesquelles sa famille aimerait la voir, elle prend ses distances avec le monde, tout en y cherchant sa juste place. En compagnie de son amie Denise, elle entame un voyage à travers la France, à travers sa propre mémoire aussi. Oui, pourquoi pas voyager ? Elle vivra des paysages, des bêtes plus ou moins féroces au bord de la route, des rivières sombres ou claires, des rencontres sans lendemain, une station amoureuse à l’Hotel California, le brame du cerf… et pourtant elle ne conduit pas !
Il faut pour vivre sa vie un nombre incalculable d’accidents, pense Jeanne. Et pour cela, il faut faire mouvement.
Avec une écriture proche de l’observation, Joël Bastard signe ici un texte entre roman et récit, s’inscrivant dans une saga familiale qui mêle passé et présent, ici et ailleurs.